Aux origines du mouvement de l’agriculture biologique franco-belge, il y a un groupement de quelques dizaines de scientifiques qui se sont intéressés à l’importance de l’humus et de l’activité biologique des sols. Cette communauté, active dès la fin des années 1940, a développé l’intérêt pour ce qu’on appelle communément « la vie du sol », qui est le point de départ, souvent oublié, de l’agriculture biologique telle qu’on la pratique toujours maintenant en Europe (1).
Par Mathilde Roda (article rédigé dans le cadre du dossier Agriculture biologique : un label et bien plus encore, publié dans la Revue Valériane n°160 de mars-avril 2023).
Le sol-les plantes-la santé humaine
Si l’aversion pour les externalités provoquées par les pesticides et engrais chimiques était un point de départ, les acteurs du mouvement agrobiologique ont instauré une pensée bien plus large ! Regroupant une reflexion axée sur la santé des consommateurs et l’autonomie des agriculteurs. L’écologie est venue plus tard s’ajouter dans l’équation.
Ce sont des médecins nutritionnistes qui ont popularisés le terme « agriculture biologique » dans les années 50, rejoints rapidement par des agronomes et producteurs en polyculture-élevage (2). Pour ces médecins, il était urgent que la population retourne à une alimentation exempte de matières d’origine synthétique. Pour les agronomes, il n’était plus possible de promouvoir un système agrochimique qui éloignait de plus en plus les agriculteurs de leurs indépendances technique et économique. Pour les agriculteurs, il devenait impératif de trouver une alternative au courant modernisateur les poussant à l’endettement : mécanisation excessive, achats d’intrants, augmentation des frais vétérinaires…
Dès le départ, la bio a donc reposé sur une reflexion globale et inclusive qui rendait indissociables agriculture et alimentation. C’est la volonté d’un modèle alimentaire sain qui a poussé à réfléchir à un modèle agricole cohérent. Avec comme rouage central et indispensable : la vie du sol ! Un sol sain donne des cultures saines pour une alimentation saine, tout en étant le facteur déterminant de la résilience des fermes agricoles.
Des principes fondateurs innovants !
Oui, pour la bio, le sol est la base de tout ! Bien plus qu’un support de culture, il est la combinaison de milliards d’alliés, de la microscopique bactérie jusqu’à la macro-faune - parfois considérée par certains comme des ravageurs. C’est pourquoi on retrouve dès l’origine des principes de limitation de la perturbation du sol. Si la gestion des adventices passe par des méthodes mécaniques, ce n’est pas réalisé n’importe comment. Le labour n’est pas un recours systématique et les premiers conseillers techniques de 1959 faisaient la promotion du sous-solage pour le remplacer.
Pratique encore présentée aujourd’hui comme « innovante », les associations végétales sont promues par les pionniers de l’agriculture biologique dès le début des années 60. En plus de favoriser l’enrichissement des sols en azote, les associations sont présentées comme un traitement préventif naturel pour garantir la santé des céréales, en favorisant la présence d’auxiliaires antagonistes.
« L’Agriculture biologique a pour but de développer la véritable fertilité du sol basée sur l’humus, et d’obtenir de hauts rendements en récoltes et en bétail, avec une qualité de produits et une résistance aux maladies que ne peuvent donner ni certaines pratiques négligentes d’autrefois, ni les méthodes couramment utilisées aujourd’hui. » Jean Boucher, 1959(3)
Parmi les autres principes fondateurs de l’agriculture biologique, on retrouve la polyculture avec des rotations longues, l’insertion de légumineuses dans l’assolement, le compostage du fumier de ferme enrichi en pailles, la stimulation des micro-organismes du sol par l’apport d’amendements organiques adaptés, ou encore le recours à des cultures dérobées enfouies comme engrais vert. L’agriculture biologique se veut depuis toujours, non pas un retour en arrière, mais bien une voie de progrès parallèle à celle proposée par l’agrochimie.
De « la bio » à « le bio »
Au fil de son histoire, la bio a intéressé de plus en plus, citoyens-consommateurs comme professionnels. Il a fallu la normer pour éviter les débordements. C’est ce qu’ont permis les cahiers des charges de Nature & Progrès dès 1972. Normer, cela veut dire cadrer les pratiques, en interdire certaines et donc contrôler le respect des règles éditées. Cela amène la confiance, mais également un aspect restrictif qui laisse peu de place à la globalisation de la réflexion.
Cet engouement qui se structurait de plus en plus a inévitablement mené à l’intérêt politique. Et c’était la volonté de ses défenseurs ! Une reconnaissance officielle permettant de cadrer et promouvoir l’agriculture biologique. Si Nature & Progrès et les autres acteurs du bio n’ont pas attendu le législateur européen pour avancer (4), cette étape constituait une victoire dans la légitimation des préceptes agrobiologiques.
Ce qui a pu, et peut encore, faire tiquer les adeptes de la bio, c’est que la création du label bio européen en 1991 s’est accompagnée d’une réduction des grands concepts à des critères purement techniques. Les principes fondateurs se retrouvant parfois légués au rang de « considérants » introductifs non traduits en articles de loi. LA bio est devenue LE bio : un marché de produits labellisés qui, pour la majorité des gens, se réduisent à des produits sans pesticides (5). Mais nous, nous le savons, même s’il y a moyen d’aller plus loin - et c’est ce que permet le label Nature & Progrès -, au travers du label bio « Eurofeuille » se traduisent déjà bon nombre des principes fondateurs du bio.
REFERENCES :
(1) Pour connaitre tous les détails de l’origine du mouvement biologique francophone, voir les articles de Florian Rouzioux dans les revues n°143, 144 et 145.
(2) Rouzioux Florian, “Les voix contestataires du Groupement d’Agriculture Biologique de l’Ouest (1958-1961) – Des Ligériens au service de l’indépendance des paysans et de la santé du sol", Revue de l’Association des Jeunes Chercheurs de l’Ouest [En ligne], n°2, 2022, URL : https://ajco49.fr/2022/11/14/les-voix-contestataires-du-groupement-dagriculture-biologique-de-louest-1958-1961-des-ligeriens-au-service-de-lindependance-des-paysans-et-de-la-sante-du-sol
(3) Archives municipales d’Angers, 42 J 186, tract « Principes d’Agriculture Biologique », Jean Boucher, 1959. Lu dans (2).
(4) Pour en savoir plus, voir la revue n°134 et l’article « regards sur l’évolution du label Nature & Progrès »
(5) Sujet développé par Michel Besson « la bio et l’agroécologie sont des projets de transformation sociale », revue n°98
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