Bernard Convié et Valérie Calicis sont des habitués de Nature & Progrès depuis de longues années. Déjà, lorsqu’ils faisaient partie du projet de la ferme du Hayon, avec Marc Van Overschelde, un autre producteur bio de N&P. Depuis 2007, c’est avec leur ferme de Jambjoûle qu’ils sont labellisés, et nous leur rendons visite dans le cadre du système participatif de garantie.
Pour l’amour de l’élevage et du fromage !
Bernard, son truc à lui, c’est l’élevage. Valérie avait envie de proposer des produits faits maison : « Pour nous, c’est important de proposer des produits dont on maîtrise la fabrication, dont on sait d’où viennent tous les ingrédients utilisés » nous confie-t-elle. Voulant continuer à mettre en pratique leurs passions, ils ont cherché où et comment s’installer pour développer leur propre projet. C’est ainsi qu’ils ont eu l’opportunité de reprendre la Ferme de Jambjoûle à Jamblinne (Rochefort) en 2003. Les bâtiments et 43 ha de prairies liées sont proposés à la location par la Donation royale. Une sacrée opportunité ! Mais la ferme est vide et les bâtiments d’élevage doivent être rénovés. Tout en mettant un (gros) coup de neuf, ils lancent leur activité agricole avec quelques vaches laitières Jersey. Valérie transforme alors le lait dans une fromagerie de fortune aménagée dans la maison.
Dès 2004, ils s’impliquent dans la gestion de réserves naturelles pour un projet Life, entamant ainsi l’élevage ovins, dont le troupeau de brebis grandit rapidement. Valérie faisant un grand potager, ils ont pendant quelques temps vendus le surplus. Ils ont également eu quelques poules pondeuses. Mais la décision a été prise de se recentrer sur ce qu’ils savaient bien faire et qui amenait le plus de plus-value à la ferme, à savoir la transformation laitière. Après avoir augmenté le troupeau de Jersey, ils se sont maintenant stabilisés à 24 vaches traites, ce qui représente un bon équilibre entre la charge de travail et les rentrées économiques.
Bernard nous montre ses vaches Jersey. Leur sortie en prairie était imminente lors de notre visite.
C’est donc une ferme de Jambjoûle remise à neuf, avec des nouvelles étables et une fromagerie rénovée, que nous visitons. On y retrouve maintenant une trentaine de Jersey et croisées, 220 brebis et agneaux, ainsi que quelques cochons pour valoriser le petit lait de la fromagerie. Et toute cette activité fait des émules et attire régulièrement des stagiaires en recherche de spécialisation ou de reconversion. « Avant, nous étions les seuls bio, depuis 5 ans, les terres alentours se convertissent de plus en plus ». C’est en plus une ferme créatrice d’emploi puisque 6 personnes y travaillent, pour un équivalent de 4,5 temps plein.
Les défis de l’autonomie en Famenne
Une idée reçue qui circule beaucoup est que « Famenne » est un dérivé de « famine », fait que semble contredire l’étymologie du nom (nous vous laissons faire vos recherches). Quoi qu’il en soit, vrai ou non, cette liaison entre les deux mots reflète bien ce qu’évoque la Famenne pour ceux qui la cultivent : une terre agricole capricieuse !
Photo de l'été 2020. On voit bien que les prairies n'offrent pas grand chose à brouter suite à la sécheresse.
La ferme de Jambjoûle est donc en autonomie en fourrages grossiers… Sauf en cas de sècheresse ! Aucune céréale n’est cultivée sur la ferme, elles sont achetées chez Fayt-Carlier pour les bovins et à la SCAR pour les cochons. « L’avantage chez Fayt-Carlier, nous dit Bernard, c’est qu’on peut composer soi-même son mélange. Cela me permet de ne pas donner de soja à mes vaches en remplaçant par du pois et de la féverole ». Les animaux reçoivent également les drèches de la Brasserie de la Lesse, située à 6km de la ferme. Pour compléter leur alimentation, Bernard a du acheter en 2020 de la luzerne bio qui constitue un bon apport lorsque les pâtures souffrent de sècheresse. Il complète aussi avec du son et des déchets de culture de carotte de la ferme Baré à Balâtre. Les moutons sont toute la saison de pâturage en réserves naturelles.
Drèches de brasserie : un apport protéique en économie circulaire
Issues de malteries ou de brasseries, les drêches sont un sous-produit de la fabrication de la bière. Il s’agit des résidus d’orge (ou autres céréales utilisées pour brasser) qui peuvent avoir une large gamme de propriétés en fonction des caractéristiques de la céréale utilisée et du processus de brassage. Mais elles constituent généralement un bon apport en protéines et en fibres. On les utilise surtout pour les vaches laitières car elles sont connues pour avoir un effet positif sur la production de lait, mais aussi pour les bovins en engraissement, les volailles et les porcs. Idéalement, elles seront utilisées fraîches lorsqu’on a la chance de pouvoir collaborer avec une brasserie à proximité, sinon elles peuvent être ensilées ou achetées déshydratées.
La philosophie d’autonomie passe aussi par la maîtrise de la transformation et de la commercialisation. Tout le lait produit est transformé à la ferme en yaourts, fromages, crème et un peu de beurre. Une partie est directement vendue sous forme de lait cru. Les veaux laitiers sont engraissés à la ferme jusqu’à leur 8-9 mois et sont vendus sous forme de colis de viande. Les agneaux et les cochons sont aussi valorisés en colis de viande.
La vente justement, un point important maîtrisé en grande partie en autonomie. Depuis le début de la ferme, un magasin y a été présent. Au fil du temps, des partenariats et projets se sont faits et d’autres défaits. Bernard fait d’ailleurs partie des fondateurs d’Agricovert, un projet qui lui tient particulièrement à cœur. Alors qu’ils étaient quasiment les seuls à proposer du bio en vente direct dans leur région lors à leurs débuts, les marchés locaux et magasins de proximité se sont maintenant bien développés. Actuellement, ils pourraient se passer du magasin à la ferme, mais cela reste un point d’ancrage important dans le lien avec leurs clients, un moment dont Valérie ne veut se passer. Il a même été rénové et agrandit dernièrement ! Depuis peu, ils ont monté un magasin à Marche-en-Famenne, « Fermes en vie », avec d’autres producteurs bio locaux réunis en coopérative. Ils vont ainsi à la rencontre d’un autre public qui apprend à connaître ses producteurs bio alentours ! On peut aussi trouver leurs produits dans certains magasins où ils sont distribués par Ecodis.
Une ferme du terroir
La Ferme de Jambjoule est nichée au creux d’une vallée famennoise. Elle est bordée de bosquets et bois, au-delà des prairies attenantes. La ferme est engagée en plan d’action agro-environnemental et compte de nombreuses MAEC : haies, arbres isolés, mares, prairies à haute valeur biologique… Ce maillage vert se densifie sous l’impulsion du fils ainé, Jonas, qui plante une multitude d’essences locales et de fruitiers au bord et dans les prairies. Un apport important en termes paysager, mais également pour le bien-être animal et du fermier ! Le bâtiment de la ferme est resté intact, les rénovations n’ayant pas altéré son aspect visuel extérieur.
La Jersey n’est pas une race locale, mais on pourrait y croire tellement la voire dans les pâtures de la ferme semble naturel. C’est une race rustique qui vêle naturellement seule toute l’année. Elle produit un lait bien connu pour ses propriétés favorisant la transformation en fromages et crèmes. Par choix, elles ne sont pas écornées, même si cela pose parfois des problèmes puisque les vaches se blessent entre elles. Mais Bernard y tient, car malgré ces quelques accidents cela reste plus bénéfique au bien-être de l’animal et à sa santé. Aussi, par volonté de rester au plus près de pratiques naturelles pour tendre progressivement vers des pratiques biodynamiques. C’est pourquoi il a également recours tant que possible aux soins de ses animaux par les plantes et les huiles essentielles. Une entorse à cette philosophie est l’abandon de la monte naturelle à la suite de plusieurs frayeurs avec des taureaux. « Je reviendrai à la monte naturelle. Mais je veux que ce soit un vrai projet dans lequel je peux investir du temps dans la relation avec un taureau. » nous précise Bernard.
Le troupeau de mouton est composé de deux races locales menacées : le Roux ardennais et le Mergelland. Ce sont deux races qui se prêtent bien à l’entretien de prairies maigres. Bernard est plus satisfait par le Mergelland qui semble avoir un caractère plus docile que le Roux ardennais.
Du point de vue de la gestion des énergies, le gros problème est l’eau. Un facteur limitant (et de plus en plus) dans toute activité agricole, et particulièrement en Famenne où les sols sont peu profonds et ne stockent pas grand-chose. La ferme est dotée d’une citerne de récupération d’eau de pluie, une deuxième est en projet, pour un total de 40.000 L de stock. L’apport en eau est complété par des puits et de l’eau de ville pour la fromagerie. Au niveau énergétique, le gros point de consommation est la fromagerie. Des panneaux solaires avec batteries de stockage ont été installés pour l’alimenter.
La Ferme de Jambjoûle chez N&P
Bernard et Valérie étaient déjà familiers de N&P via la Ferme du Hayon et ce sont labellisés en 2007. Ils apprécient les valeurs défendues par N&P qui vont au-delà du cahier des charges européen. Bernard nous explique : « Nous sommes très actifs, professionnellement bien sûr, mais aussi dans les coopératives, les associations locales comme Colibris Famenne ou Rochefort en Transition, et en politique locale puisque je suis conseiller communal. J’en oublie certainement. Ce n’est pas par désintérêt que je ne me revendique pas militant proactif de Nature et Progrès, mais par manque de temps. Nos priorités se sont progressivement orientées vers les actions concrètes et locales. Je ne parviens plus à suivre les activités de l’UNAB, du MAP, du CETA ovin, etc, dans lesquels j’étais plus actif auparavant. »
Du côté de N&P, il manque juste la production céréalière pour coller parfaitement au modèle de polyculture-élevage comme nous le revendiquons. La situation de la ferme ne permet pas de telles cultures sur ses terres qui n’y sont pas propices. Idéalement, Bernard aimerait trouver des terres cultivables localement, dans un rayon de 15 km, pour pouvoir augmenter encore son autonomie. Un autre point à améliorer à nos yeux est l’espace réservé aux cochons. Bernard aimerait leur donner accès à une prairie, mais il n’a pas encore trouvé la place ni le moyen d’aménager cela avec les contraintes de gestion de ses prairies naturelles. D’autant plus que ses terres sont régulièrement visitées par des sangliers, ce qui demande beaucoup de prudence tant que la peste porcine africaine n’est pas totalement éradiquée de Wallonie.
Ferme de Jambjoûle Valérie Calicis et Bernard Convié Rue de Jambjoule 2 5580 Jamblinne contact@jambjoule.be - www.jambjoule.be
Commenti