Article de Mathilde Roda publié dans la revue Valériane 134
Comment est né le label Nature & Progrès en Belgique ? Comment a-t-il évolué ? Nous avons parcouru les anciennes revues et échangé avec des acteurs des débuts de l’association pour concocter cet article. Voici donc un petit tour d’horizon historique, de quoi prendre un peu de recul pour mieux avancer !
La naissance d’un mouvement
Notre association est née dans les années 1970’, à l’heure où l’on croyait encore que les pesticides nourriraient le monde, où l’on pensait que les industries prendraient le relais des fermes pour proposer une nourriture de qualité et bon marché au consommateur. Une poignée de producteurs et de consommateurs – des visionnaires – ne voulaient pas croire en ce système. Ils refusaient la standardisation et l’homogénéisation de produits alimentaires anonymes vendus par des grandes surfaces en plein essor. Ils constataient, au jour le jour, les impacts de cette agriculture sur la société, sur leur santé et sur l’environnement. « J’ai observé les animaux mourir après ingestion de Temik (NDLR : pesticide extrêmement puissant interdit en Europe depuis 2003). Même en mangeant des plantules de betterave ! C’était effrayant ! Et malgré tout, la nature pardonne… », nous confie Henri Pâque, producteur parmi les pionniers de la bio en Wallonie. C’est dans ce contexte que nait officiellement en France, le 15 mars 1964, Nature & Progrès, Association Européenne d’Agriculture et d’Hygiène Biologiques. Grâce à l’aura de l’association au-delà des frontières françaises et sous l’impulsion de Vincent Gobbe, « Nature & Progrès Belgique » est née le 6 mars 1976. L’association s’est fixée pour objectifs de promouvoir l’agriculture biologique, de diffuser ses techniques (par le biais de colloques, de réunions et du service librairie), et de rassembler producteurs et consommateurs biologiques autour de ce modèle alimentaire. Il s’agit bien d’associer NATURE et PROGRES pour aller vers une agriculture plus naturelle, car respect de la nature et le progrès sont complémentaires dans l’évolution de notre agriculture et de notre alimentation. C’est cette dynamique entre producteurs et consommateurs qui est à l’origine du label Nature & Progrès, qui met en avant des producteurs et transformateurs bio s’engageant à pratiquer une agriculture biologique dans le sens des valeurs prônées par l’asbl, pour notre santé et celle de la Terre.
L’histoire de Nature & Progrès et l’histoire de la BIO intimement liées !
La branche belge de l’association suit les pas de sa grande sœur et milite pour une reconnaissance officielle de l’agriculture biologique. Les fondateurs ont à cœur de diffuser largement les bonnes pratiques de l’agroécologie, avec une forte volonté (et l’espoir !) de faire évoluer l’ensemble de l’agriculture. Mais le label, version belge, n’existe pas encore. Les producteurs se font labelliser sur base du cahier des charges français dès 1982 – ils sont alors 6 producteurs des provinces du Luxembourg et de Liège.
C’est en 1985 que l’association décide de lancer sa propre mention : un label BIO privé, géré par les consommateurs et les producteurs, permettant de se distinguer des producteurs usurpant l’appellation « biologique » tant que celle-ci n’est pas légalisée. Le cahier des charges est calqué sur celui de Nature & Progrès France. A l’époque, on labellise les productions au cas par cas. Suivant le modèle français, on crée la Commission Technique pour encadrer les producteurs sous mention, ainsi que les COMAG (Commission Mixte d’Agrément) qui s’occupent du traitement des homologations. Ancêtres du Système Participatif de Garantie, les COMAG étaient régionalisées et constituées de producteurs, de consommateurs et de membres de la Commission Technique. Elles étaient gérées en collaboration avec l’UNAB (Union Nationale des Agrobiologistes Belges) et VELT pour la partie flamande.
En 1989, l’UNAB-NUBILA, association de producteurs en agrobiologie et PROBILA-UNITRAB, association de grossistes et transformateurs en produits biologiques, lancent le label BIOGARANTIE, en partenariat avec Nature & Progrès Belgique et VELT. A côté de la marque, une coupole nationale « Biogarantie » se met en place. Elle réunit tous les acteurs du BIO afin, d’une part, de resserrer les liens, et d’autres part, de garantir au consommateur une uniformisation du BIO.
Jusqu’à lors, la garantie en matière d’aliments biologiques ne reposait donc que sur des labels privés. La réglementation européenne bouleverse cette organisation en balisant l’utilisation du terme « biologique ». Tous les acteurs du BIO se réjouissent de cette reconnaissance officielle des principes défendus depuis des décennies ! Elle entrera en vigueur le 1er janvier 1993 et concernera l’étiquetage des productions végétales, qui font alors l’objet d’une obligation de contrôle officiel (norme CEE). Ecocert Belgium (rebaptisée maintenant Certisys) est alors créée par un membre actif de Nature & Progrès Belgique.
A ce moment, les labels préexistants, comme celui de Nature & Progrès, commencent à perdre leur sens en tant que certificat BIO. En revanche, ils continuent d’être un gage de confiance pour le consommateur, de défendre une vision, alors que la réglementation statue seulement sur l’étiquetage de produits. Les prémices de la charte Nature & Progrès Belgique font alors leur apparition. En 1992 est adopté, par le conseil fédéral de Nature & Progrès, un texte fixant l’éthique de l’association. Il comprend des objectifs pour la filière agrobiologique - d’ordres écologique, social et économique - vers lesquels tendre progressivement pour un idéal du BIO. Et c’est cette philosophie qui perdure toujours à l’heure actuelle ! Pour ceux qui possèdent des archives bien fournies peuvent retrouver le texte complet de la charte en fin de la revue n°90 de juillet-août 1992.
A ce stade, les produits de l’élevage ne sont pas concernés par la réglementation européenne et continuent d’être garantis BIO par le label Nature & Progrès et Biogarantie.
Quand Nature & Progrès Belgique prend son envol
Avec l’officialisation du label bio en Europe, Nature & Progrès Belgique doit définir sa stratégie d’évolution et son positionnement dans la sphère BIO. L’association décide de rester soudée à Nature & Progrès France, peu satisfaite de la réglementation européenne. Concrètement, il s’agit bien de se réjouir du cahier des charges adopté officiellement, mais également de continuer à œuvrer pour qu’y figurent plus de principes écologiques (gestion des paysages et de la biodiversité) et éthiques (transparence et rémunération juste), afin d’ « éviter une dérive vers une bio-intensive qui ne respecte pas beaucoup plus l’environnement que la chimie », comme l’énonce Eric Van Essche dans un article « mention » de 1993. De son côté, Biogarantie décide de reconnaître unanimement tous les labels satisfaisant à la réglementation européenne. Malgré cette divergence, les acteurs du BIO restent soudés et continuent d’être coordonnés par Biogarantie en Belgique.
Jusqu’au début des années 2000, Nature & Progrès continue de certifier des producteurs, transformateurs et distributeurs sur base de son cahier des charges privé. Mais malgré une philosophie commune, Nature & Progrès France et Belgique divergent sur la considération du label officiel européen. En Belgique, l’association fait le choix de considérer la réglementation européenne comme le plus petit dénominateur commun et comme la base de son référentiel BIO. Il s’agit encore et toujours de faire évoluer l’application de cette réglementation en Wallonie (grâce à ce travail, notre région possède actuellement des normes parmi les plus strictes d’Europe !), en y adjoignant une Charte qui représente les valeurs de l’association. Nature & Progrès France peut être considérée comme fondatrice du BIO en Europe et on comprend bien le besoin de l’association de continuer d’innover selon ses propres principes : l’association développe alors des cahiers des charges privés. Alors que Nature & Progrès Belgique évolue comme une association de consommateurs et producteurs, Nature & Progrès France renforce son rôle d’association de producteurs et de contrôle des cahiers des charges.
Nature & Progrès Belgique prend donc son envol, tout en travaillant toujours en étroite collaboration et avec les mêmes valeurs que l’association mère. La mention devient réservée aux producteurs certifiés 100 % en BIO et qui souhaitent aller plus loin que ce que propose la réglementation. La Charte NESO (Naturel, Energie, Social, Origine) a été revue en 2018 (voir article 3). Nature & Progrès Belgique ressent le besoin de rapprocher les consommateurs des producteurs et transformateurs, de leur faire prendre conscience de l’humain qui se cache derrière leur alimentation. La campagne « Mes aliments ont un visage » cèle cet état d’esprit. A l’heure actuelle, Nature & Progrès Belgique labellise donc des producteurs, pas des produits, et promeut un lien direct entre producteurs et consommateurs. C’est grâce à ce lien direct que chaque consommateur pourra conserver, en toute connaissance de cause, la liberté du choix de son alimentation.
On constate l’ampleur du label Nature & Progrès avant la certification bio. Alors que la réglementation européenne se relâche, nous devons remettre le pied à l’étrier. La reprise des visites participatives et la mise en place de nouvelles COMAGs permettra de proposer un label fort et de continuer de garantir au consommateur des productions issues de producteurs de confiance, pour notre santé et celle de la Terre !
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